Le premier projet connu d’Alvar Aalto est la rénovation et la décoration en 1923 de l’église Toivakka, en Finlande. Il a conçu les peintures du plafond, les lustres, la décoration de la chaire, deux bougeoirs en fer forgé et quelques petites lumières et bougies. Il a aussi dessiné le motif du vitrail au-dessus du retable.
Pour les cierges éclairant l’église, Aalto conçut un chandelier en fer forgé, deux candélabres et un chandelier à poser sur le sol, chacun comportant le même motif décoratif, une feuille souple se déployant. On peut y reconnaître une certaine influence de l’Art nouveau, mais tempérée d’un grand attachement et d’une grande attention aux traditions architecturales et stylistiques finlandaises.
Il reste très peu de traces de ce travail, seul le vitrail est encore en place, d’autres pièces ont été transférées au musée Jyväskylä Alvar Aalto (dont il a conçu lui-même le bâtiment en 1973).
Les peintures du plafond en revanche ont été entièrement recouverte par les peintures de Pellervo Lukumies, lors d’une campagne de rénovation qui eu lieu entre 1972 et 1973. L’interprétation très personnelle de la bible, les couleurs très vives, le Christ en pattes d’eph’ rayé rouge et noir, furent à l’origine d’une controverse artistique mémorable. Malgré la résistance du vicaire local, les travaux purent être achevés, et l’église de Toivakka est aujourd’hui une attraction en Finlande.
Alvar Aalto fonde sa première agence d’architecture à Jyväskylä, sa ville d’origine, en 1923. La même année, Aalto est chargé de l’ameublement du salon principal de l’auditorium et des salons de la Corporation des étudiants de Tawastie à Helsinki.
Quelques années auparavant, Aalto déclarait :
«Si nous nous tournons vers le passé et considérons la hardiesse des artistes qui nous ont précédés, qui ont osé être internationaux tout en restant fidèles à eux-mêmes, tout nous autorise à emprunter sans arrière-pensées des idées à l’Italie antique, à l’Espagne ou à l’Amérique coloniale.»
Alvar Aalto, «Menneitten aikojen motiivit» (« Motifs du passé »), Arkkitehti, 1922.
«L’éclectisme historique était en effet le précepte qu’il appliqua dans la conception des salons particuliers. Les éléments empruntés incluent une table de fumoir en fer avec « pieds palmés », copiées sur une illustration d’une table en bronze antique de Pompéi. La chaise du président est de type Renaissance, bien que le modèle se retrouve également dans un catalogue de meubles coloniaux américains. »
Alvar Aalto designer, Gallimard, 2003
Dans le projet de rénovation de six églises en bois qui lui est confié l’année suivante, Aalto applique le style alors en vogue du classicisme.
À partir de 1924, Alvar Aalto conçoit des meubles pour des particuliers. Aalto dessine ces meubles conformément au goût bourgeois de l’époque, qui n’est pas précisément encore celui des formes modernes. Pour satisfaire ses commanditaires, il donne la faveur au style renaissance ou baroque.
En 1927, ils remportent le concours pour la conception du bâtiment de la Coopérative agricole de la Finlande du Sud-Ouest, à Turku. L’ensemble comprenait un théâtre, un restaurant, un bureau de banque, des locaux commerciaux et des appartements.
Alvar et Aino ne dessineront que très peu du mobilier de ce bâtiment. Seule la chaise d’un des restaurants est de leur cru ainsi que les meubles pour le bureau de la banque. Ses écrits indiquent que les sièges étaient en « métal tubulaire » et fabriqués à Turku, mais il n’en reste aucune trace à part des dessins techniques peu explicites de ce point de vue.
Pour le reste du mobilier, ils puisèrent dans le catalogue Thonet où ils trouvèrent les chaises idéales pour meubler le restaurant de l’étage supérieur : les B1 à tubulure de métal de Marcel Breuer. Ils commandèrent également pour ce restaurant un ensemble de luminaire PH de Poul Henningsen (qu’ils installent aussi dans le théâtre, les vestibules et le bureau de banque).
Cette période marque clairement l’entrée d’Alvar et Aino Aalto dans le modernisme, mais… En 1928, Alvar écrit un texte intitulé Des nouvelles tendances de l’architecture dans lequel il explique que la « nouvelle architecture » n’est pas une question de style, qu’elle ne fait pas partie des phénomènes de modes successifs qui voient les styles défiler un par un, mais qu’elle se base sur les nécessités concrètes imposées par l’époque industrielle. Mais déjà, il prend la tangente. Les « modernistes » ne valent pas mieux pour lui que les « traditionnalistes », il les range dans le même panier, celui de l’aveuglement dogmatique. Pour lui, la Nouvelle architecture est moins moderniste que de l’ordre d’un « nouveau réalisme » :
« Dans le domaine de l’architecture, en particulier, la pensée réaliste a provoqué un autre tournant, dont les bases existaient cependant déjà. Les architectes, qui avaient jusqu’ici pour plus haute mission des bâtiments décoratifs inspirés par la tradition et des projets monumentaux conformes aux anciennes valeurs, commencent à se rendre compte que les tâches les plus difficiles, mais aussi les plus séduisantes et les plus positives, sont celles dans le cadre desquels les modes de vie engendrés par les exigences modernes doivent trouver des solutions techniques favorables aux progrès de la civilisation. Cela va de pair avec une vision claire du rôle et de la position de la tradition, dans un esprit bien plus positif qu’auparavant. L’art dans son ensemble se voit ainsi placé dans le contexte plus vaste de l’harmonisation des phénomènes de notre époque. »
La première chaise au piètement en métal connue des Aalto est celle dessinée en 1928 pour l’église de Muurame. Ici, les souhaits du client, orientés par un budget limité et une exigence de simplicité pratique, s’accordent avec leurs ambitions modernistes.
En 1929, après avoir noué des contacts avec des designers suédois, Alvar participe à la conférence du CIAM de 1929 à Francfort où il assiste aux présentations des principaux pionniers de l’architecture moderniste. Il établit des contacts ou des amitiés durables avec Walter Gropius, Karl Moser, Siegfried Giedion, Le Corbusier, Làszló Moholy-Nagy…
L’été de la même année, la ville de Turku organisait une grande exposition industrielle. Alvar Aalto est chargé d’en concevoir la scénographie et y présente notamment un Ensemble pour chambre à coucher, conçu avec Aino.
La chaise a suscité un petit débat au moment de son exposition au sujet de la possibilité de sa standardisation, qui semblait difficile aux yeux des commentateurs. De plus, on lui trouvait un air de famille avec une chaise de Gunnar Asplund, exposée à l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925.
En 1929, il conçoit une imprimerie et un siège social pour le Turun Sanomat, journal de Turku, dont le directeur s’intéresse personnellement au modernisme. La même année, il est aussi chargé de la conception d’«une maison de rapport standard». Ces deux projets continuent de marquer le tournant stylistique vers le modernisme qui s’opère à cette époque dans les créations des Aalto.
Peu après, Alvar Aalto participe au concours international de design de meubles commandité par Thonet Mundus à Copenhague. Il dessine pour l’occasion quatre chaises différentes, une table de service et des tables gigognes. Toutes devaient être en hêtre, une variété de bois résistante pouvant être courbée dans tous les sens.
Toujours en 1929, Alvar et Aino conçoivent un nouvel ensemble pour chambre à coucher pour l’exposition annuelle de l’Association finlandaise d’artisanat et de design à Helsinki. Si les lits et la table étaient pratiquement identiques à ceux présentés à Turku, les tables de chevet et les chaises marquent une évolution vers la standardisation. Leurs pieds en bois fabriqués artisanalement sont en effet remplacés par une armature tubulaire en métal.
Le couple présente à cette même exposition une chambre pour enfant. L’ensemble est très fonctionnel et dénué de tout ornement. L’intérieur des placards est rouge ainsi que la bande de caoutchouc protectrice qui entoure la table.
Un des journalistes prédit à l’occasion de sa visite de l’exposition que :
« dans les expositions à venir, un nombre grandissant d’exposants devra accorder une plus grande attention aux meubles pour les maisons de Monsieur-Tout-le-monde, c’est-à-dire des meubles ordinaires répondant aux besoins pratiques et quotidiens, et non pas simplement des curiosités ou des objets de luxe »
Aalto Designer, p.65