Trouver une forme satisfaisante aux produits de l’industrie relève à la fois du désir (mû par des raisons esthétiques et éthiques) et de la nécessité (économique). On a vu comment cette tentative échoue en partie en Angleterre, qui reste malgré tout pionnière en la matière et qui est à ce titre observée par ses voisins européens. 

Au début du XXè siècle, les Arts & Crafts sont connus et publiés en Allemagne. Les dirigeants de ce pays ont compris que le design est un argument à l’exportation et par conséquent un bon levier économique. La chambre de commerce de Prusse envoie un émissaire à Londres pour observer les méthodes et les pratiques britanniques en la matière. Cet émissaire sera Hermann Muthesius, un architecte-diplomate, qui séjournera à Londres de 1898 à 1903. 

Quelques années après son retour en Allemagne et sur la base de ses observations, le Deutscher Werkbund est créé en 1907. 

Un historique du Deutscher Werkbund est disponible ici.

Le Deutscher Werkbund se définit comme : « une association d’artistes travailleurs et experts dont le but était d’ennoblir le travail professionnel par une conjugaison de l’art, de l’industrie et de l’artisanat, grâce à l’éducation, la propagande et une prise de position collective sur les questions abordées » et dont l’objectif est « l’augmentation de la qualité de l’industrie allemande et, par voie de conséquence, sa capacité de concurrence sur le marché international ». cf. (cf. Gert Selle, « La fondation du Deutscher Werkbund », in Culture technique, n°5, 1981.)

Avec cette association, l’état allemand cherche à imposer sa vision en faveur de la production de masse par l’alliance des arts décoratifs avec le standard industriel. 

Histoire du design Peter-Behrens-1913-1024x738 La controverse du Deutscher Werkbund Deutscher Werkbund Non classé XXe siècle  Peter Behrens Hermann Muthesius Henry Van de Velde
Peter Behrens (1868-1940) en 1913

L’une des manifestations la plus caractéristique de cette volonté est le travail de Peter Behrens au sein de l’entreprise AEG. Peter Behrens peut être considéré comme le premier designer industriel intégré. Il était chargé de dessiner et construire les bâtiments de production, de remodeler toute la série des produits AEG et de construire l’image de marque de la firme (charte graphique, logos, etrc.) tout en se soumettant aux impératifs techniques et aux exigences d’une production meilleur marché. 

Turbinenhalle, Berlin, 1909

Peter Behrens, objets dessinés et produits par AEG

Peter Behrens, publicités, logos et typographie pour AEG

Pour en savoir plus sur Peter Behrens : 

https://enso.readymag.com/peter-behrens/aeg-2/

https://indexgrafik.fr/peter-behrens/

Mais le Werkbund est composé de nombreuses personnalités et artistes qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts ni la même vision. Un groupe d’artistes et d’architectes notamment, mené par Henry Van de Velde (qui vient de prendre la direction de l’École d’Art de Weimar) et parmi lesquels on compte aussi Walter Gropius, Bruno Taut ou Hans Poelzig, opposent à ce point de vue une approche qui privilégie l’expression artistique individuelle et préfère la notion d’unité des arts à celle de la standardisation. 

Dès 1909, il écrit : 

« Unir l’art et l’industrie ne signifie rien moins que de fondre ensemble l’idéal et la réalité, c’est-à-dire associer un idéal à des réalités qui posent leurs exigences de façon plus impérieuse que toutes autres, qui ne reculent devant rien et qui n’hésiteraient pas à détruire un idéal, s’il le fallait. Il est tout aussi étranger à la nature de l’industrie de s’orienter vers la beauté, que de compter avec les exigences d’une morale qui repose sur la parfaite exécution de la production. La soif du profit suscité par l’industrie marque de son sceau la nature et les moyens de celle-ci. Toutes deux ne sont arrêtées par rien » 

Extrait de H. van de Velde, Kunst und Industrie. Vortrag auf der Werkbund-Tagung, Francfort, 1909, Cité par Anne Van Loo dans « Henry van de Velde à l’exposition du Deutscher Werkbund (Cologne 1914) : la collaboration des artistes à la production industrielle » (Trad. Anne Van Loo).

Présente dès la fondation du Deutscher Werkbund, cette opposition éclate au grand jour lors du congrès de l’exposition du Werkbund à Cologne en 1914. 

Muthesius défend lors de ce congrès la notion de « typisierung » (que l’on traduit par « standardisation »), qui renvoie à l’idée de la recherche d’une forme « type » qui aurait suffisamment de caractères communs de neutralité pour convenir au plus grand nombre.

Ce à quoi Henry Van de Velde répond : 

« aussi longtemps qu’au deutscher werkbund les artistes existeront ils protesteront contre toutes les propositions de la norme et de la standardisation. dans la plus profonde partie de son âme, l’artiste est un individualiste fervent, l’esprit libre et spontané. jamais, de bon gré, il ne se soumettra à la discipline des normes et aux types réglementaires. »

cf. aussi : 

Un article, accompagné d’une caricature célèbre, de  la revue satyrique Simplicissimus tourne en dérision ce débat.

Le texte complet de la controverse est accessible ici