Affiche d’une exposition itinérante de design finlandais au Canada et aux États-Unis de 1954 à 1957. Cette exposition contribua beaucoup au succès et à la diffusion du design scandinave en amérique.

Le design scandinave est, avec le design Italien, un design qui se qualifie par sa zone géographique et compose, par là même, une unité qui passe par une identité nationale. 

« En Europe, les pays scandinaves ont longtemps été marginaux. En raison sans doute, en premier lieu, de leur environnement naturel. Il y a d’abord (…) ce climat dont la rigueur s’accentue au fur et à mesure que l’on approche des régions polaires. Il y a aussi ces hivers très longs et ces nuits qui, à Oslo aussi bien qu’à Stockholm, peuvent durer jusqu’à dix-huit heures. Des conditions qui suffisent à expliquer l’attention accordée par les habitants à leur qualité de vie. La maison étant le lieu où l’on séjourne le plus longtemps, on veut qu’elle soit claire pour que la lumière du jour l’envahisse, et l’on prend soin de la meubler d’objets conviviaux auxquels on demande d’être beaux, qu’ils soient utilitaires ou simplement décoratifs. »

Raymond Guidot, Histoire des objets, Chronique du design industriel, p. 125

Si ce phénomène relève donc d’une réalité culturelle et géographique, il est aussi une construction économique et politique.

« Par exemple, pour ce qui est du design scandinave ou du design italien, ce sont des constructions et des rassemblements de producteurs, à partir d’une volonté politico-économique de se présenter à l’étranger avec ce qui serait une identité de façon à conquérir des marchés. »

Catherine Geel, « Autour des enjeux de la qualification du design », Modes de recherche, 2010

À propos de géographie, soyons précis :
la Scandinavie au sens strict, c’est la Norvège, la Suède et le Danemark. On obtient les Pays nordiques en rajoutant la Finlande, l’Islande et les Îles Féroé. Pour nous tout cela est un peu pareil : il fait froid, les nuits sont longues l’hiver, et les forêts profondes sont percées de routes enneigées où des Volvo glissent silencieusement. Mais pour les habitants de ces contrées, on sait que les différences entre ces pays sont tout aussi marquées qu’elles peuvent l’être entre la France, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal par exemple.
Ensuite, le terme « design scandinave » ne vient pas de Scandinavie (et pour cause, beaucoup de « designers scandinaves » ne sont pas « scandinaves ») mais est une construction commerciale née de l’engouement anglo-saxon notamment pour le mobilier et les objets nordiques. Le design scandinave n’est pas un mouvement, il n’a pas de manifeste. C’est une désignation extrinsèque des européens continentaux et des américains qui permet de marquer une différence et une spécificité par rapport à d’autres typologies d’objets.
Il est d’autre part assez amusant de savoir ce qu’Alvar Aalto pensait de cet engouement commercial :

« Personnellement, j’aurais tendance à ne pas entièrement partager l’engouement du public, essentiellement anglo-saxon et américain, qui s’est entiché des arts décoratifs de nos pays. Je vois d’un œil très critique les formes décoratives et esthétisantes qui caractérisent depuis peu cette « grâce nordique » »

Alvar Aalto, « Originalité des Arts décoratifs nordiques », texte datant des années 60 destiné à accompagner une exposition aux États-Unis, in La Table blanche et autres textes, p.237

Le design scandinave se caractérise par des formes « organiques »*, par une modernité plus douce, moins radicale qu’en Hollande, France ou Allemagne et plus attachée aux valeurs et aux traditions culturelles. Souvent préféré au verre et au métal, le bois, est un matériau de prédilection, non seulement parce qu’il est abondant dans ces régions mais aussi parce qu’il renvoie une image moins froide, plus « humaine ». Mais il n’est pas exclusif car les matériaux typiques de la modernité sont aussi beaucoup utilisés par les designers scandinaves, qui sont aussi de grands pourvoyeurs de techniques nouvelles.
On le rattache d’un point de vue historique à une tendance nommé « la forme libre » qui désigne un adoucissement et un arrondissement généralisé des formes dans les années 50.
Parmi les pays scandinaves, la Finlande a un statut particulier. Le besoin d’affirmer plus que les autres son identité s’explique par son histoire politique. Au milieu du XIXe siècle, elle est rattachée à la Russie (elle était jusque là rattachée à la Suède) avant de pouvoir proclamer pleinement son indépendance en 1917. Parmi les designers les plus célèbres du design scandinave, trois sont Finlandais, Eero Arnio, Eero Saarinen et Alvar Aalto.
Arne Jacobsen, auteur de pièces devenues icônes, est Danois.

* « Il n’est pas de texte consacré à Alvar Aalto qui ne l’unisse à Frank Lloyd Wright (…) et au concept d'"architecture organique". S’il est vrai que l’expression fut inventée par Wright, il est également vrai qu’elle s’applique aussi bien à l’œuvre de l’un qu’à celle de l’autre. Encore convient-il de préciser ce que Wright entendait par “architecture organique”. Dans un article paru en 1908 dans Architectural Record, il déclare que l’architecture est “organique” lorsque interviennent un principe de simplicité, un refus de tout ce qui n’est pas strictement nécessaire, une prise en compte de la manière d’être et de vivre des futurs utilisateurs, l’interaction entre topographie, nature et architecture – qui implique une adéquation des couleurs à donner à l’œuvre et celles qui dominent dans le paysage dans lequel elle s’implante –, enfin l’affirmation des caractéristiques des matériaux utilisés, de préférence laissés nus. Autant de principes qui se retrouvent dans l’architecture d’Aalto, que Wright lui-même considéra comme un génie. »

Raymond Guidot, Histoire des objets,
Chronique du design industriel, p. 131

Ce cours aborde brièvement le travail d’Eliel et Eero Saarinen, d’Arne Jacobsen, d’Eero Aarnio, et de Poul Henningsen. Le travail d’Alvar et Aino Aalto est abordé dans un cours spécifique et plus détaillé accessible ici.  

Finlande

En 1897, Louis Sparre fonde la société Iris, spécialisée dans la fabrication de meubles, de textiles, d’objets en métal et de céramiques. L’ambition est de revivifier l’identité culturelle finlandaise tout en accueillant la forte influence de l’Art Nouveau.

Sparre fait venir le céramiste franco-belge Alfred William Finch à la tête de la section céramique d’Iris.

En 1873, la société d’édition de céramiques Arabia est créée. Elle existe toujours. Ses réalisations sont présentées à l’Exposition Universelle de Paris de 1900, où elle reçoit une médaille d’or. Parmi les créateurs qu’elle édite, se trouvent Eliel Saarinen (1873-1950) et Armas Eliel Lindgren.

Histoire du design FenniaAvecArmasElielLindgren Le "design scandinave" Le design scandinave XXe siècle
Eliel Saarinen, Armas Eliel Lindgren, Herman Geselius, Vase de la série Fennia, fabriqué de 1902 à 1912, Arabia.

Eliel Saarinen, Armas Eliel Lindgren, Herman Geselius sont aussi les auteurs du Pavillon finlandais construit à l’occasion de cette même exposition. Si la Finlande avait été invitée lors des précédentes éditions, c’était la première fois qu’elle pouvait y ériger son propre pavillon. Ce dernier fut salué par la critique pour son interprétation sensible, intelligente et créative des formes traditionnelles finlandaises.
cf. Le Pavillon de Finlande à l’Exposition Universelle, Art et Décoration, 1900.

Histoire du design PavillonFinlandaisExpoUniverselleParis1900 Le "design scandinave" Le design scandinave XXe siècle
Pavillon de la Finlande.
Paris, Exposition universelle, 1900.

« Des trois, c’est surtout le nom de Saarinen [Eliel] que l’on retient, non seulement parce qu’après la dissolution du groupe, en 1905, il fit une brillante carrière d’architecte – en particulier avec la construction de la monumentale gare centrale d’Helsinki (1906-1919) — mais aussi parce qu’il fut, au début du XXe siècle, le concepteur de meubles issus tout à la fois d’une tradition vernaculaire et de la volonté de rejoindre dans le modernisme Mackintosh et la Wiener Werkstätte de Hoffmann et de Moser. En 1922, il émigra aux États-Unis où il ouvrit, en 1932, la célèbre Cranbook Academy of Art. »

Raymond Guidot, Histoire des objets, Chronique du design industriel, p.130

Mais le plus connu des Saarinen, et clairement identifié comme représentant des formes canoniques du design scandinave, est le fils, Eero Saarinen. Bien que d’origine Finlandaise, il a la nationalité américaine puisqu’il arrive aux États-Unis avec ses parents en 1923, alors qu’il est encore adolescent.

La Womb chair est un modèle issu du concours « Organic Design in home furnishings » organisé par le MoMA en 1941 que Eero Saarinen gagne avec un certain Charles Eames.
cf. Elliot F. Noyes, Organic Design in Home Furnishing, MoMA, catalogue d’exposition, 1941.

Arne Jacobsen (1902-1971)

Histoire du design Portrait Le "design scandinave" Le design scandinave XXe siècle

[https://fritzhansen.com/da-dk/designers/arne-jacobsen/portfolio]

La plupart des meubles et objets du design scandinave ont été conçus pour des bâtiments. C’est notamment l’un des crédos d’Alvar Aalto et également le cas des célébrissimes fauteuil Egg et autres chaises Swan et Drop de Arne Jacobsen (1902-1971) qui ont été conçus pour meubler le SAS Royal Hotel de Copenhague.

Histoire du design ant-chair-3-legs-model-3100 Le "design scandinave" Le design scandinave XXe siècle

Conçue pour équiper la cafétéria de l’entreprise pharmaceutique danoise Novo Nordisk. L’amincissement de son dossier, qui lui confère son caractère formel auquel elle doit son nom, n’est pas qu’un geste esthétique. Il permet en effet lors de sa fabrication de s’affranchir de la double courbure du dossier, difficile (et donc plus chère) à réaliser. Jacobsen tenait à ce que cette chaise soit munie de 3 pieds et seulement 3 (contrairement aux variantes plus tardive). Ce n’est qu’après sa mort que le quatrième pied est apparu.

Arne Jacobsen, Ant Chair (3 pieds), Fritz Hansen, 1952.

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Ant Chair (4 pieds), chaise Grand Prix (1957), chaise modèle 3107 (1967).

Drop, Swan et Egg.

La chaise Drop et les fauteuils Swan et Egg ont été crées pour le SAS Royal Hotel, également conçu par Arne Jacobsen et construit entre 1956 et 1960. Situé en plein coeur de Copenhague et seul et unique « gratte-ciel » de la ville, posé sur le terminal de l’aéroport — SAS, pour Scandinavian Airlines System est une compagnie aérienne créés par les royaumes du Danemark, de Norvège et de Suède à la fin de la deuxième guerre mondiale —, il en est l’emblème de la modernité.
Leurs courbes contrastaient avec élégance avec la géométrie modulaire de la façade et du mobilier des chambres, ainsi qu’avec les surfaces lisses et réfléchissantes des espaces intérieurs.

Eero Aarnio (1932-)

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Jakkarapari, siège en rotin, 1961 est l’un de ses premiers projets

Au début des années 60, Asko, une grande maison de meuble Finlandaise, commande à Eero Aarnio « un siège en plastique ». Conçu en 1962, ce siège fait sensation quatre ans plus tard au salon du meuble de Cologne et lance définitivement la carrière du designer.

Totalement ancrés dans la tendance pop des années 60 (plastique, formes arrondies, couleurs vives, ras du sol, conquête spatiale…), ses objets sont portés par une très bonne stratégie de communication. Mis en scène dans différents contextes, les images graphiques, ludiques et colorées qu’ils contribuent à fabriquer illustrent très souvent les pages de grandes revues.

Poul Henningsen (1894-1967)

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Tous les textes cités sont extraits de Bernd Polster, Dictionnaire du design scandinave, Seuil, 1999.

« Une pissotière comme emplacement publicitaire pour de la bière et de l’alcool : le petit dessin qu’exposa Poul Henningsen à l’exposition des Arts décoratifs à Paris en 1925 ne fit que confirmer sa réputation de provocateur. En même temps, c’était en matière de mobilier urbain moderne une suggestion tout à fait sérieuse, tout comme son principal objet exposé, les lampes PH. »

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Image extraite de Bernd Polster, Dictionnaire du design scandinave, Seuil, 1999.

Henningsen, architecte, écrivain, chansonniers, metteur en scène et designer, fut un observateur attentif du milieu urbain. Il est aussi connu au Danemark pour être l’auteur des paroles de la bande sonore d’un film documentaire sur son pays :

« Il s’intéressa particulièrement à l’éclairage électrique, qui se développe alors. Les lampes qui portent son nom était des machines réfléchissantes dont les abat-jour astucieusement emboîtés envoyaient la lumière là où il fallait, empêchant que l’œil ne fut ébloui. Expérimentant avec divers matériaux comme le verre et le cuivre, Henningsen a sans cesse refait des variations sur ce même principe, en les adaptant à des situations spécifiques et en raffinant, jusqu’aux imposantes Kogelen des années 50, structures complexes de feuilles se recouvrant, qui diffusent sur le maximum de surface une lumière que leur teinte de cuivre mate rend chaude et accueillante. Ces constructions furent presque toujours des objets surprenants, esthétiquement imposants, parfois irritants. Les lampes PH, produites encore chez Louis Poulsen, furent le plus important design industriel du Danemark avant 1945, et le premier à être exporté dans toute l’Europe, le catéchisme fonctionnaliste étant ainsi appliqué point par point. »

« Les lampes de Henningsen était basées sur une analyse scientifique, consciencieusement déduite de courbes de répartition de la lumière et d’esquisses de reflets. » Mais aussi sur un regard sensible et critique dont rend très bien compte le film Philosophie de la lumière (ci dessous en deux parties), dans lequel Poul Henningsen explique, démontre et illustre magistralement sa conception de la lumière.

« Elles étaient conçues pour une production de masse, programmées pour des séries et donc adaptables à presque toutes applications spécifiques, de la boîte de nuit au tennis couvert, de l’église au parc de loisirs. Pendant la guerre, Henningsen a même inventé des lampes de couvre-feu pour le Tivoli de Copenhague. Enfin, les lampes PH servaient le progrès technique comme le progrès social. En effet, non seulement elles amélioraient, avec l’éclairage, la qualité de la vie, mais elles étaient à la portée de toutes les bourses, au moins au Danemark. »

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Au début des années 30, Henningsen dessina des meubles en tube d’acier, entre autres la Snake Chair faite d’un seul tube coudé. Cette élève modèle du fonctionnalisme défendit ses opinions souvent impopulaires dans de nombreuses revues, en particulier la Kritisk Revy dont il était coéditeurs, magazine culturel ou à la fin des années 20 il défend aussi ses idées de designer. (…) Dans l’exposition Formes et milieux danois, présentée en 1959 à Stockholm, il ne voyait que « des articles coûteux fait main pour la upper class, qui n’ont aucune place dans quelques milieux danois d’importance ». Incarnant la conscience morale du design, il édita ensuite la première revue de défense des consommateurs et tenta constamment d’inciter ses jeunes confrères à la résistance, conformément à l’un de ses plus nobles principes : « C’est la désunion qui fait notre force ! ». »

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