À la fin des années 20, Alvar et Aino Aalto rejoignent les préoccupations des penseurs de l’après-guerre qui cherchent à garantir à l’Europe une perspective de paix et de stabilité durable. Pour beaucoup d’architectes modernistes, le manque de logement pour la classe ouvrière était l’un des premiers problèmes à traiter, problème qui avait justement fait le thème du congrès du CIAM de Francfort en 1929 sous le titre : « Die Wohnung für das Existenzminimum ».
En 1930, Alvar Aalto écrit un texte intitulé Le problème du logement (Domus n°8-10, Milan).
Il essaye de prouver dans ce texte que « en soi, un grand espace n’est pas un avantage, c’est un inconvénient.» C’est un texte ambivalent, qui mêle beaucoup de clairvoyance et de générosité au pire d’un « progressisme rétrograde » (une pensée rétrograde à la devanture progressiste qui cherche à justifier… l’injustifiable : construire des logements trop petits). La commodité des petites surfaces est affirmée comme une évidence, et non comme une solution temporaire tandis que la “gymnastique matinale” (qui, elle aussi, semble évidente), impraticable dans un 200 mètres carré bourgeois devient élémentaire dans 60 mètres carrés bien agencés. On comprend l’idée, même si l’on peut s’amuser de l’argumentation douteuse.
Les conditions biodynamiques (l’air, la lumière, la température…) qui doivent déterminer la distribution du logement (et non des modèles obsolètes déterminés par des « axes de symétries et une architecture de façade ») et la femme seront l’avenir de l’homme moderne, mais seulement si cette dernière préfère une petite cuisine à une grande.
Ce texte reste cependant fondateur car Alvar Aalto y aborde les grandes questions sur lesquelles il reviendra sans cesse par la suite : l’universalité (la standardisation), la civilisation (il aime bien la définir), l’organique (qui peut faire hospitalité).
Alvar Aalto, qui a donc récemment assisté au CIAM, importe en Finlande l’idée « d’appartement minimum » autour de laquelle il organise une exposition qui a lieu en même temps que l’exposition annuelle de l’Association finlandaise d’artisanat et de design. Elle comprend un logement modèle pour une famille de 4 ou 5 personnes, des plans techniques pour des « prototypes de logement standard », une proposition d’ameublement intérieur d’un immeuble locatif et un ensemble de meubles pour une chambre d’hôtel.
Les deux modèles suivants de chaises en bois, que l’on voit dans la salle à manger derrière le canapé, ont été conçus par Alvar Aalto avec Otto Korhonen, le propriétaire de l’usine qui devait les fabriquer.
En 1932, une nouvelle série de meuble est exposée à la Foire nordique de l’habitat dans la section « Mobilier Standard ». On y retrouvait entre autre la chaise en porte à faux à pied en métal tubulaire, maintenant prête pour la fabrication en série, accompagnée de sa version avec accoudoirs.
Lors de cette même exposition, Alvar et Aino Aalto montrèrent aussi un ensemble de meubles entièrement en bois, comprenant notamment les pièces qu’ils avaient conçus pour le Sanatorium de Paimio.
Le siège et le dossier de toutes les chaises exposées étaient faits d’une seule pièce de contreplaqué cintré, moulé dans une presse de fer. Le perfectionnement de la technique permettait désormais de produire de nombreuses variantes et de fabriquer une structure en bois d’une seule pièce qui faisait office de pieds et d’accoudoirs, et dont la souplesse améliorait le confort de l’assise.
« (…) les pièces les plus intéressantes de l’exposition sont assurément les nouveaux prototypes de chaise conçus par l’architecte Alvar Aalto et produits à l’usine Huonekalu- ja Rakennustyötehdas Oy de Kaarina, à Turku. Ces fauteuils sont légers, extrêmement confortables, esthétiquement plaisants et décoratifs, très français en fait. Les pièces ainsi meublées — en particulier si nous les décorons avec quelques peintures françaises aux murs — traduisent réellement le style et l’esprit de notre temps (…) »
Arttu Brummer-Korvenkontio, « La chaise Aalto », Domus, n°3, 1932
Cette critique est élogieuse mais isolée. Il faudra beaucoup de temps avant que le public finlandais ne se laisse séduire par le mobilier d’Alvar et Aino Aalto.
Plus proche du travail de ses collègues continentaux, les chaises au piètement de métal rencontrèrent en revanche plus de succès sur le marché européen que les meubles entièrement en bois. Les prototypes furent vendus dès 1931 à la société suisse Wohnbedarf qui devint en quelques années le principal détaillant européen des meubles d’Aalto.
C’est essentiellement grâce à son mobilier qu’Alvar Aalto se fait connaître dans le monde.
Consulter à ce sujet l’article d’Asdis Olafsdottir, « Les meubles d’Alvar Aalto : leur diffusion internationale (1920-1940) », in Gérard Monnier et José Vovelle (dir.), Un Art sans frontière. L’internationalisation des arts en Europe (1900-1950), Éditions de la Sorbonne, 2014, [https://books.openedition.org/psorbonne/418].
À la fin des années 30, le mobilier d’Aalto est présent dans une douzaine de pays européens, en Amérique du nord et du sud, en Afrique du sud, en Australie et en Inde.
[apparté] —
Max Bill est chargé de l’identité visuelle des magasins Wohnberdarf par Ernst F. Burckhardt dès leur création.
L’affiche montre une table pliante, une armoire, une lampe et un fauteuil dessinés par Werner Max Moser (1896-1970). Dans la bulle en haut à gauche, Max Bill (1908-1994) actionne en personne le mécanisme de la table pliante, pendant que, en bas à droite, c’est Binia Bill (1904-1988), son épouse, qui réalise la plupart des photos des supports publicitaires de cette époque, qui est assise dans le fauteuil.
Max Bill, Affiche Wohnberdarf, Zürich, 1932.